Nous sommes tous des féministes de Chimamanda Ngozi Adichie
25 Mars 2022
Madame Chimamanda Ngozi Adichie,
Laissez-moi commencer cette lettre en vous faisant part de l’admiration que j’ai pour votre éloquence et votre vision du féminisme que j’ai trouvé très intéressante et que je partage. À travers cette lettre, je voudrais faire remonter à la surface certains passages de vos essais : “Nous sommes tous des féministes” suivi de votre discours “Danger de l’histoire unique” qui m’ont marqué et inspiré. Mais avant cela, laissez-moi me présenter.
Mon nom est Leïla. Je suis une jeune fille de 16 ans (bientôt 17 ans, si je peux m’avancer un peu). Je suis la dernière fille d’une fratrie de 5 enfants élevés par une mère marocaine venue en France au début de notre siècle. J’ai ainsi grandi avec une double culture, entre autres.
J’ai été amenée à vous connaître car nous étudions vos essais comme lecture cursive dans mes cours de français. Comme je n'avais pas encore commencé ma lecture, je voulais d'abord l’avis de mes amis. J’ai pu ainsi assister à des débats entre mes camarades et leur retour sur leur lecture. Plus spécialement la première de vos deux œuvres “Nous sommes tous des féministes” (traduit de l’anglais “We should all be feminists”). Après avoir finalement lu, j'ai été surprise des retours que j’avais pu recevoir antérieurement. Elles trouvaient que votre œuvre était “beaucoup trop centrée sur le féminisme au Nigeria”. Comme s’il s’agissait d’un point faible, j’ai pourtant trouvé que cela le rendait d’autant plus intéressant.
Voyez-vous, je ne pense pas qu’il n’y ait de féminisme trop centré sur un pays ou un autre (fondamentalement), bien que son acceptation ou au contraire, sa renonciation puisse varier selon les pays (sans compter le contexte historique et politico-social propre à chaque pays). Ce serait comme dire qu’on parle beaucoup trop de vampires dans Twilight, ridicule n’est-ce pas ? Pourquoi lire si ce n’est pas ce que vous voulez entendre ? C’est pourtant ce qui m’a attirée dans votre vision du féminisme au Nigeria.
J’en suis quand même venue à me questionner sur ce féminisme qui serait nationaliste, qui serait discriminatoire ou qui ne s’appliquerait qu’à une partie de la population. Un féminisme qui se diviserait, non pas par le genre, mais par le contexte géographique. Vous en parlez notamment dans votre essai lorsque vous faites un rapport culturel du féminisme, vous dites : “le féminisme n'était pas africain, c'était sous l'influence des livres occidentaux que je me présentais comme une féministe.” (p.19) Cela indiquerait alors que la notion de féminisme n’a pas toujours fait partie des langages présents au Nigéria.
Serait-ce alors que mes amies n'auraient pas trouvé la cause du féminisme au Nigeria (et dans d’autres pays africains tels que le Kenya ou le Congo) “logique” sous prétexte qu’elles ne pouvaient associer une culture telle que la culture nigérienne avec un mot comme celui de “féminisme”? Peut-être sont-elles comme votre colocataire américaine ?
Cela pousse effectivement à réflexion, nous amenant de ce fait à cette “histoire unique” que vous abordez dans la seconde œuvre “Danger de l'histoire unique”. Si ma compréhension est sensée, vous semblez soulever dans cet essai l’importance des histoires.
Vous expliquez, en faisant référence au poète palestinien Mourid Al-Barghouti – “si l’on veut déposséder un peuple, la façon la plus simple est racontée son histoire [...]” (p.65) – soit, que le fait de raconter une histoire nous donne le pouvoir de définir l’identité d’une personne, ou du moins celle que l’on lui attribue. Qu’en matérialisant une Histoire avec un grand H, on obtient alors la capacité de faire de cette dernière une référence. Vous insistez également sur l'importance de constituer et, pourrait-on dire, se constituer de plusieurs histoires ; faire le travail de construction d’une identité plurielle. Qu’il est essentiel si nous voulons former une identité qui soit la plus fidèle possible, de raconter toutes les dimensions d’une identité. Peut-être avons-nous échoué à cela. Peut-être mes amies n’ont-elles vu Okoloma, vos grands-pères ou encore votre cousin Polle et par conséquent n’ont pas su percevoir, dans son sens premier, le panier en raphia teint.
Cela me laisse à formuler une première hypothèse : peut-être la raison pour laquelle certains ne parviendraient pas à entendre vos paroles féministes s’explique précisément par ce manque d’ histoires au pluriel, qui aiderait à compléter cette identité de “féminisme nigérien”.
Laissez moi aussi vous faire part des raisons de mon attirance pour votre premier essai, en soulignant votre réussite dans l’argumentation sur l'importance du féminisme, et vos exemples tirés de votre expérience de vie au Nigeria. J'ai particulièrement apprécié le fait que vous incorporez vos propres histoires comme celle d'Okoloma ou celle du chef de classe. Je pense que nous avons tous pu nous identifier aux expériences que vous décrivez. J'ai également aimé le deuxième essai, car il m'a donné l’occasion d’explorer cette idée d'histoires uniques (qui doit se maintenir au pluriel, curieusement). Votre description de l'origine du féminisme m’a également beaucoup plu.
Si je m’en tiens à votre écrit, le féminisme moderne relève bien d’un concept occidental, introduit auprès des femmes africaines par des femmes occidentales. Je n'avais jamais vu les choses comme cela auparavant, et j'ai trouvé cela extrêmement intéressant. J'ai, comme vous l’aurez compris, d’autant plus apprécier la façon dont vous avez abordé la question du féminisme nigérien. Question qui m'a retenu en pensées plus d’une fois : “à quoi ressemble le féminisme à travers le monde ? Comment cette volonté d’égalité des sexes se traduit-elle ?”, et dont j'aimerais discuter davantage. Je pense qu'au lieu de se demander "le féminisme est-il africain ?", nous devrions nous demander "à quoi ressemble le féminisme en Afrique".
En effet, j’ai la conviction que cette question sert précisément à créer un espace pour toutes les voix. La question des droits des femmes semble être partagée, que nous soyons du Maroc, du Kenya, de France ou du Nigeria. Il ne s'agit pas de savoir d'où nous venons, mais plutôt de savoir où nous allons.
C'est le début d'une conversation dont nous avons bien besoin. Merci de nous avoir outiller et d’avoir partager vos réflexions sur le féminisme, afin que nous puissions nous aussi mener cette discussion. J'ai hâte de lire le reste de votre travail.
Dans l’espoir de créer un meilleur futur.
Leïla,
Une jeune femme heureuse et qui ne déteste pas les hommes.
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(épilogue généré par l'IA)
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