DISCLAIMER : cet article traite du sujet des "races". Si vous n'êtes pas confortables avec les appellations "une blanche/un blanc, une noire/un noir", je vous invite à lire d'autres articles. Mes écrits ne représentent que et uniquement des pensées et ressentis qui me sont propres. Vous êtes invités à partager vos propres opinions et êtes libres de rebondir. Je me ferais un plaisir de discuter avec vous. Ceci étant dit, je demanderais à ce que cela soit fait avec un minimum de respect et de courtoisie. Merci encore d'être là :) Bonne lecture.
Ce n'est pas que je ne veuille pas parler aux autres, mais c'est que je ne sais pas doser la chose. Soit je me tais et alors je reste dans cet espace de réflexion. Soit je ne m'arrête pas mais de parler et de balancer tout et n'importe quoi, parfois dans le désordre, avec confusion dans mes expressions (sans doute l'usage un peu trop poussé de l'ironie), ou simplement pour combler des blancs (je parle de silence).
Je lis Frantz Fanon en ce moment. Depuis un moment, à vrai dire. Je suis arrivée à peu près à la moitié du livre, au chapitre intitulé "l'expérience vécue du noir", là où il parle de l'identité que le noir se fait à travers le blanc. Comment chaque mouvement, chaque parole, chaque geste, chaque tissu habillé, manière de se déplacer et de déplacer son corps dans l'espace, le ton de la voix, le débit de ses mots — tout est contrôlé et monitoré par peur du regard que le blanc ou la blanche pourrait, dans l'imaginaire, poser sur le noir (plus sur l'imaginaire de qui entre le blanc et le noir, on ne sait pas trop). Notamment celui qui pourrait perdurer sur les noirs qui viendraient après sa propre personne, noire.
L'homme noir s'automatise en robot méticuleusement calculé pour plaire au blanc, le satisfaire et l'affirmer dans son imaginaire idéal de l'homme noir, de sorte à ne pas alerter les sens bien sensibles du blanc vis-à-vis du noir ou de la noire. L'homme noir ose espérer que "Regarde maman, l'homme noir. Qu'il est effrayant! J'ai peur, maman." Puisse se changer en "Regarde maman, l'homme noir. Comme il se tient bien pour un noir! Qu'il est éloquent!. Il ose espérer effacer ridicule, haine, mépris, supériorité ou encore suspicion que l'homme blanc étale sur lui. Il souhaite effacer cette même inquiétude qu'il a de son image, la peur de légitimer ses sentiments. L'homme noir est drôle. C'est un bon garçon. Il se tient bien, il garde le dos droit. Il est travailleur et sérieux. Il se montre autonome et débrouillard quand on en a besoin. Il est obéissant. Peut-être même sympathique! Et voilà que l'homme noir perd toute personnalité.
Il s'efface plus qu'il n'efface ses inquiétudes vis-à-vis de l'image que l'homme blanc se fait de lui. Il copie ce qu'il sait est apprécié par et sur des hommes blancs et s'efforce de les accomplir à son paroxysme, de faire mieux. De faire comme un bon noir. C'est ce que je ressens aussi.
Dans ma classe, il n'y a que des blancs. Sur une douzaine de professeurs, tous sont blancs sauf une noire. Il y a également un professeur avec qui j'ai pu discuter — qui m'a d'ailleurs fait remarquer la blancheur des enseignants pour une discipline comme l'anthropologie — et dont je sais qu'il est également descendant d'immigré, portugais en l'occurrence. Je n'arrive pas à aimer ma classe. Je l'ai d'ailleurs déjà dit plusieurs fois. Je n'ai jamais dit que je la détestais, mais il est vrai que je ne l'aime pas. Nous sommes une cinquantaine d'étudiantes (dont 3 étudiants au masculin et 5 étudiants de couleurs). Il y a bien un Arabe qui, je suppose, est d'origine algérienne. Mais je n'en saurais pas bien plus avant la fin de l'année — même après 3 semestres avec de nombreux cours en commun, puisque même l'un en face de l'autre, il refuse de me parler en faisant face, discuter droit dans les yeux. Pourtant, il parle très bien avec d'autres étudiantes blanches, même étrangères. Moi-même je n'ai pas spécialement essayé de lui parler. On ne se connaît pas.Il ne faut pas se méprendre, je perds toute personnalité devant eux, je ne suis pas talentueuse (je travaille dur, nuance), fringale, rigolote, "bon délire", coquine, relou, flemmarde, râleuse, irritée, bizarre, aléatoire. Je perds la personnalité. Pour être honnête, je ne sais pas ce qu'ils pensent de moi. Tout ceci pourrait et est sûrement puisé dans mes propres inquiétudes que l'homme ou la femme blanche ne puisse voir que ma couleur et ne puisse en dissocier les pires images. Construction à travers un regard pourtant inconnu.
J'ai bien cette amie dans la classe. Disons que c'est une camarade proche. En tout cas, on se parle bien. Parfois on s'assoit à côté en cours. Mais nous ne mangeons pas ensemble et nous ne nous voyons pas en dehors des cours ou des conférences. J'ai eu beaucoup de mal avec elle. J'ai du mal avec elle. Elle aussi a du mal avec moi. Ça se ressent. À chaque fois que l'on se voit, on ne sait pas trop comment se saluer. Elle ne sait pas si je suis "en mode tranquille", je ne sais pas si je peux l'être. On met du temps à répondre à nos salutations et tout semble déjà préalablement répété. C'est peut-être aussi de ma faute, comme je suis confuse à chaque fois, j'essaie une nouvelle personnalité à chaque fois. De quoi questionner une bipolarité. Elle s'intéresse à des sujets qui me ressemblent en image : la langue arabe, l'islam, le soufisme, le monde musulman, la délinquance dans les quartiers populaires. Elle voyage dans des pays musulmans et lit l'arabe mieux que moi. Pourtant, elle est blanche. Elle est un peu "wesh-wesh". Sa blancheur crée confusion. Je ne sais pas si je dois vivre mon stéréotype. Je ne sais pas si je dois prouver son contraire. Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais plus qui être.
Me voilà devant une blanche à qui je ne sais pas plaire. Les automatismes, le changement de vocabulaire, le camouflage d'accent stéphanois pour un français plus urbain, la posture, les bijoux, tout ce que je pensais plaisait aux blancs — elle s'en fiche. Peau blanche, masque d'arabe. Peau d'arabe, masque blanc. C'est à s'y perdre.———————————————————————————————————
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(épilogue généré par l'IA)
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